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Salvatore Stella "101 départements = 101 politiques de protection de l’enfance"

Salvatore Stella, président du CNAEMO nous répond


Pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?


Directeur du Département Milieu Ouvert de l’ACSEA en Normandie jusque début septembre 2022 et tout nouveau Directeur Général Adjoint du Groupe Sauvegarde 01 en Rhône-Alpes, j’ai été élu président du CNAEMO (Carrefour National de l’Action Educative en Milieu Ouvert) le 1er avril 2015.

Éducateur spécialisé de formation et militant depuis de nombreuses années dans le secteur du social et du médico-social, je travaille dans le champ de la protection de l’enfance depuis plus de 25 ans et plus particulièrement dans celui de l’action éducative en milieu ouvert depuis un peu plus de vingt ans.

Après avoir travaillé plusieurs années comme travailleur social et chef de service en région parisienne, j’ai travaillé comme chef de service puis directeur en Normandie tout d’abord à la Sauvegarde de l’Orne (ADSEAO 61) puis à l’ACSEA (14).

Je suis par ailleurs Vice-Président de la CNAPE (Convention Nationale des Associations de Protection de l’Enfant) depuis 2017 et membre du CNPE (Conseil National de la Protection de l’Enfance) depuis sa création en 2016.

J’ai signé de nombreux articles et tribunes sur la protection de l’enfance, le travail social et le soutien à la parentalité et suis co-auteur de différents livres aux Editions Erès dans la collection Empan : « AEMO/AED, contrôle social des pauvres ? », « Protection de l’enfance : la diversification dans tous ses états ! », « Les enjeux de l’inclusion en protection de l’enfance » et « Parentalités et après ? » dernier ouvrage collectif qui a été primé en 2022 du prix de l’analyse sociale au salon du livre « Plumes et Ancres Sociales ».

Je prépare un nouvel ouvrage sur « Le pouvoir d’Agir des personnes accompagnées dans le travail social ».


Est ce que les mesures de milieu ouvert sont souvent protectrices ? Quel est l’avenir de l’intervention à domicile ?


Depuis les années 2000, la protection de l’enfance est sans cesse interrogée, notamment à la suite de plusieurs faits divers ou reportages mettant en cause l’exercice des professionnels. Les lois de mars 2007 et de Mars 2016 ont redéfini le cadre des interventions ainsi que les places de chaque institution (Conseil Départemental, Juge des enfants…). Depuis plusieurs rapports, et la démarche de consensus de l’intervention à domicile en protection de l’enfance, sont venus questionner le contenu et la mise en œuvre des mesures de milieu ouvert. Ils ont également abordé la possibilité d’un référentiel national propre à la mesure d’AEMO et d’AED.


Derrière cette proposition se posent deux grandes questions : les enfants sont-ils suffisamment protégés en milieu ouvert ? Quelles sont les suites de l’intervention sur la situation familiale ?


Le maintien à domicile doit s’accompagner d’étayages conséquents et idoines selon chaque situation. Si les services disposent de moyens nécessaires et suffisants (et cela est très difficile actuellement) pour évaluer, diagnostiquer régulièrement l’évolution de l’enfant, le renouvellement de l’intervention peut se justifier selon les situations autour de ses fondements en définissant les grands principes autour de :

- L’intérêt supérieur de l’enfant

- Du travail avec les familles et le soutien à la fonction parentale

- Et la prise en compte des contextes de vie et de toutes les ressources mobilisables autour du projet personnalisé de l’enfant.

En effet, certains profils de famille carencée et/ou déficitaire nécessitent un fort étayage sans lequel un placement devrait s’imposer.

C’est un choix qui relève autant de la clinique que de la philosophie politique de la protection de l’enfance.

Le maintien du lien doit toutefois être questionné selon l’évolution de ladite situation et ne pas être maintenu si celui-ci est contraire à l’intérêt de l’enfant.


Malheureusement, il y a des situations où effectivement l’intervention au domicile familial n’est pas suffisante voir contre-indiquée.

La protection nécessite donc une évaluation permanente des situations et une capacité à moduler les formes d’intervention (la modulation est l’avenir pour le CNAEMO c’est-à-dire intensifier l’intervention à un moment de la mesure, par exemple pendant une crise…).

Le placement reste et doit rester une modalité de protection indispensable selon certaines circonstances qui mettent l’enfant en danger…


Pourriez-vous nous dire quels sont les principaux points d'achoppement sur le terrain en matière de protection de l'enfance. Sur le papier, tout semble clair, sur le terrain il y a perpetuellement des blocages, où sont-ils, pourquoi et comment se manifestent-ils ?


Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte de crise d’attractivité, due à la perte de sens des travailleurs sociaux et même de toutes les fonctions travaillant dans ce champ.

Les problèmes connus depuis des années sont exacerbés par la crise sanitaire ,qui est vite devenue une crise sociale : paupérisation ou multi vulnérabilités des personnes accompagnées, volontés politiques et intérêt pour la protection de l’enfance pas suffisamment à la hauteur des enjeux et des défis par nos gouvernants ou financeurs, manque de moyens, iniquités territoriales en France métropolitaine et ultra-marine (j’ai l’habitude de dire dans les instances où je siège que 101 départements = 101 politiques de protection de l’enfance), mille-feuille administratif, différentes politiques publiques en silo (protection de l’enfance, handicap, soutien à la parentalité…) qui amène énormément de frein et de complexité sur le terrain, sortie sèche pour les jeunes majeurs, problème d’inconditionnalité avec une protection de l’enfance à double vitesse avec l’arrivée depuis quelques années des MNA (mineurs non accompagnés) non intégrés aux dispositifs classiques, la question des violences intrafamiliales…


Il faut une réelle envie, comme d’autres pays l’ont fait avant nous, que l’enfance soit une cause nationale avec un ministère dédié !

Aujourd’hui, et cela est très grave, de nombreux enfants sont en liste d’attente dans le champ de la protection de l’enfance c’est-à-dire qu’une mesure a été prononcée mais que l’effectivité de la mesure est différée selon le territoire à plusieurs mois plus tard, voir plus d’une année ! Plusieurs départements en France ont entre 500 et 1000 enfants en attente… Cela veut dire qu’au moment où la mesure démarre, le plus souvent la situation s’est dégradée entre l’audience et le démarrage de la mesure.

C’est tout simplement inadmissible dans un pays comme la France en 2022 ! Nous alertons régulièrement sur ce sujet…


Selon vous, qu’ont apportées de bon , aux enfants , aux familles, aux professionnels, les lois de décentralisation ? Quelles en sont les limites ?


Les lois de décentralisation ont permis tout de même d’avoir des interlocuteurs plus en proximité sur les territoires et de disposer d’une certaine liberté de décision (éducatif, économique…) pour définir les normes des actions et des modalités de leurs interventions.

Par contre, il faut une dose de régalien dans une politique publique de protection des enfants et donc une présence de l’Etat pour avoir une certaine cohérence sur les territoires. La contractualisation initiée par Adrien Taquet en 2019 va dans le bon sens mais ne corrige pas suffisamment les différences entre les départements.


Les fondateurs du CNAEMO ont fondé ce mouvement au moment des lois de décentralisation car ils craignaient des iniquités territoriales fortes… ce qui se vérifie très clairement aujourd’hui et qui a été criant lors du démarrage de la crise sanitaire de la covid 19.


CNAPE, CNAEMO... vos rapports sont-ils lus ? Vos alertes à l'Etat sont-elles entendues ?


Oui les rapports sont lus, nous sommes régulièrement auditionnés, des concertations sont faites aussi régulièrement notamment à chaque changement de gouvernement… mais je me répète, il manque deux choses : une réelle volonté politique à tous les échelons et des moyens supplémentaires même si les moyens augmentent d’année en année.

Il faudrait aussi que la communication sur la protection de l’enfance soit plus positive en montrant les bonnes initiatives de terrain qui sont nombreuses, plutôt que d’être en réaction constamment notamment après des faits divers. Enfin il faudrait écouter plus le secteur associatif qui regorge de bonnes pratiques et d’innovations.

Bref, il est urgent maintenant de travailler tous ensemble à rénover le secteur.


Quels sont les enjeux majeurs de la protection de l’enfance pour les dix prochaines années ?


Il va falloir mener de front plusieurs sujets :

- Travailler l’attractivité des métiers de l’humain (formations, rémunérations…) dans tous les secteurs et particulièrement dans celui de la protection de l’enfance

- Revoir les formations initiales avec des spécificités plus fortes sur les compétences en protection de l’enfance

- Doter de moyens humains et financiers plus conséquents les services et les établissements de protection de l’enfance en général et de l’intervention en milieu ouvert en particulier. Un exemple : le milieu ouvert dispose de 6 à 8% des moyens mis en place pour la protection de l’enfance alors qu’il prend en charge 50% des mesures en France (50% de 350 000 enfants relevant de l’ASE)

- Mettre en place une philosophie et un réel pouvoir d’agir des personnes accompagnées dans notre champ. Cela est encore très disparate sur cette question sous prétexte que les mesures sont judiciaires.

- Accompagner la révolution numérique en cours avec un vrai plan numérique pour le secteur et aussi un plan nomadisme pour l’intervention à domicile

- Mieux coordonner et rendre visible les invisibles que sont les enfants ou les jeunes relevant de 2 champs différents et donc de 2 politiques publiques différentes : Handicap et Protection de l’enfance. 30% des enfants en protection de l’enfance relèvent également du secteur du handicap !

- Travailler la question de la cohérence des normes (combien d’enfants à suivre pour un travailleur social). On peut avoir des écarts type dans une même activité de +10 enfants !

- Mieux repérer et accompagner les violences intrafamiliales et toutes les formes de violence

- Rendre la protection de l’enfance universelle et inconditionnelle (un mineur étranger en danger est avant tout un mineur à protéger avec des besoins primaires identiques).


Bref beaucoup de sujets qui mériteraient que l’Enfance soit une grande cause nationale ce que le candidat Macron avait promis…


Je vous remercie et remercie l’Institut du Comment de m’avoir donné la parole.



Pour l’IDC, octobre 2022…




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