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Jacques-Antoine Malarewicz "Je nomme compétences relationnelles ce qu’on appelle soft skills"

Jacques-Antoine Malarewicz, psychiatre et coach en entreprise répond à nos questions


Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?


J’ai deux métiers : celui de médecin-psychiatre et celui de consultant en entreprise.

Je me suis formé à l’approche systémique, en Italie et aux États-Unis, au début des années quatre-vingt, en même temps que je découvrais l’hypnose éricksonienne qui a été le sujet de plusieurs de mes ouvrages.

Ayant eu, pendant dix ans, des responsabilités de chef de service dans une clinique pour adolescents, j’ai pu très rapidement et avec un certain degré de liberté, « mettre en pratique » tous ces nouveaux savoirs.

Avec des responsabilités managériales pour lesquelles je n’étais pas préparé, je me suis très vite intéressé au monde de l’entreprise, là également en écrivant des manuels consacrés à ce sujet et en développant, à partir de 1987, les notions de coaching, de médiation, de deuil en entreprise et de travail avec les personnalités difficiles.

Enfin, j’ai en quelque sorte fusionné ces deux pratiques en intervenant fréquemment dans des entreprises familiales.


Travailler avec des familles ou des entreprises, en quoi c'est semblable, en quoi c'est différent pour vous ?


Dans ces deux situations, j’utilise donc ce qu’on appelle l’ « approche systémique ».

Les outils d’analyse et d’intervention sont les mêmes car l’idée de système est universelle. Ce qui diffère est le travail avec les demandes, plus sophistiquées dans l’entreprise, alors que face à une famille ou à un couple se manifeste plutôt une souffrance psychique --- relevant plus ou moins de la psychiatrie --- ou relationnelle, d’une certaine façon plus facile à décrire car relevant du quotidien.

Autrement dit, tout le monde n’est pas, ou n’a pas été, responsable d’une PME, mais tout un chacun a vécu ou vit dans une famille voire plusieurs.

Une autre différence notable se situe, bien évidemment, dans le mode de rémunération plus intéressant dans l’entreprise.


Quels sont les indices qui vous indiquent une volonté réelle de faire évoluer une entreprise en faisant intervenir un expert comme vous ? Car nous savons bien qu'en faisant entrer le loup dans la bergerie on risque de provoquer du changement là où le client ne s'y attendait pas...


Les indices d’une réelle volonté de changement, à supposé que ces indices puissent avoir une définition bien précise, ne préexistent pas à l’intervention, ils se coconstruisent au cours de celle-ci sans qu’il soit possible de considérer qu’ils soient définitifs.

La volonté de changer les choses est tout autant dans la tête du professionnel que dans celles de ses clients.

En systémique on a pris l’habitude de distinguer les changements de type 1 des changements de type 2 ; ce qui les différentie est dans l’existence, dans le second cas, d’une crise qui remet en cause la représentation que peuvent avoir les acteurs eux-mêmes de la situation dans laquelle ils évoluent.

Se confronter à cette crise, aux déséquilibres qui en découlent, et a fortiori la provoquer, est délicat pour tout professionnel dans la mesure où ses légitimes contraintes commerciales peuvent alors être malmenées.

Par ailleurs, en systémique il semble pertinent de passer des demandes telles qu’elles sont énoncées, aux besoins tels qu’ils ne sont pas énoncés. Toute la difficulté est non seulement d’identifier ces besoins, mais également de les vendre au client, avant de les travailler, ce qui ne correspond pas toujours à ses attentes.


Pour user d'une approche systémique il faut être à l'aise avec le paradoxe, comment apprendre à gagner cette aisance dans une culture occidentale selon vous ?


La paradoxalité réside, selon moi, dans le fait d’énoncer une proposition à la fois vraie et fausse. Cette proposition ouvre sur la reconnaissance de la complexité des choses ; en ce sens elle contrevient à des habitudes de pensée, plutôt occidentales, où dominent la simplification, la modélisation, la linéarité, la perspective diachronique, l’usage des pourquoi --- la recherche des causes historiques d’un problème --- en négligeant les comment, c’est-à-dire les manœuvres que chacun est capable de mettre en place pour générer et maintenir ses propres problèmes, ce qu’on appelle habituellement l’homéostasie du système.

Le paradoxe pose une question à laquelle il n’est pas possible de répondre dans l’immédiat : il oblige à passer à un autre niveau logique et à faire un pas de côté face à une situation donnée.

Ces paradoxes se retrouvent le plus communément dans l’humour ou sous la plume de certains philosophes qui pointe ainsi la pensée vers ce qui est innommable.

Certaines personnes sont naturellement plus à l’aise que d’autres dans l’usage des paradoxes, sur ce point comme sur bien d’autres, il faut accepter l’idée que nous sommes parfaitement inégaux. D’ailleurs, à ma connaissance, ce qui n’est pas très drôle, aucune formation ne propose de développer son humour !


Selon vous le télétravail pose quels types de problèmes aux entreprises actuellement ?


Comme pour tout ce qui n’a pas été choisi, le télétravail comporte à la fois des avantages et des inconvénients, ce qui fait que ses conséquences vont être pérennes.

Les avantages ont été de maintenir une activité économique, de développer de nouvelles formes de liens au travail et de redéfinir ce qu’est le management des hommes.

Les inconvénients, pour les entreprises, résident dans le fait que de nombreux salariés ont pris goût à cette nouvelle liberté, au confort de la province et à être, pour certains, plus proches de leurs familles et de leurs conjoint(e)s, avec comme conséquence, une interpénétration pro-perso plus marquée.

Dès lors, les conséquences managériales se traduisent nécessairement en terme de réorganisation, pour une fois non prévue, et très profonde.


Vous pensez quoi des soft skills, des outils de communication vantés dans les entreprises ? N'est-ce pas l'indice de mélanges risqués entre les terrains personnel et professionnel ? Les chiffres du burn-out ne semblent pas décroître par exemple...


Je nomme compétences relationnelles ce qu’on appelle soft skills, en sacrifiant à la mode dérisoire des anglicismes.

Il m’a toujours paru évident que les problèmes dans l’entreprise sont la conséquence de carences dans le domaine relationnel, notamment chez les dirigeants et les managers.

Ceci est dû à de nombreuses négligences dans leur formation initiale ainsi qu’à l’obnubilation pour le court terme, tout en se soumettant à la rentabilité et à l’efficacité. La notion même de leadership, trop inféodée à la posture autoritaire, est simplifiée à outrance jusqu’à conduire, pour beaucoup, à de terribles caricatures.

Enfin, les compétences techniques tendent à être surévaluées dans notre monde lui-même fasciné par les technologies. On n’a jamais autant mis en avant la dimension humaine dans les relations professionnelles tout en se donnant aussi peu de temps et en développant aussi peu d’énergie pour la mettre en pratique.

Avec les sensibles évolutions induites par le télétravail, l’intrication activité professionnelle et vie privée doit être réévaluée. Il en résulte que les coachs eux-mêmes doivent, pour le moins, être sensibles à ce mélange et être capables de donner des réponses à ce que vivent leurs clients sur le plan plus personnel. Autrement dit, ils sont désormais enclins à développer des compétences qui sont de l’ordre de la psychothérapie.

La question du burn-out, si l’on s’attache à ce que recouvre ce terme, est, dans une moindre mesure, celle que pose la notion de coaching.

En effet, nommer une situation ou un type d’activité, leur attribuer certaines caractéristiques, c’est à la fois poser une première étape en l’occurrence, à propos du burn-out, celle d’une offre d’aide face à une réelle souffrance. Mais c’est aussi, dans le même mouvement, prendre le risque de favoriser une inflation de plaintes, nourrissant un profond besoin de victimisation dont on sait que, dans notre société, il est devenu une des principales sources de gain en terme d’identité.


Vous êtes coach, mais il y a la fonction de coach accolée à une formation théorique et pratique et les coachs formés en quelques weekends... pensez-vous que ce phénomène de société deviendra un problème, l'est déjà ou deviendra une solution si ce n'est déjà le cas ?


C’est déjà un problème que cette banalisation extrême du terme, non seulement parce que cette pratique professionnelle n’est pas encadrée par les pouvoirs publics (ce qui, en fait, est plutôt une bonne chose car cela évite une standardisation appauvrissante de cet outil) mais également par l’extrême diversité des situations qu’il recouvre.

Tout un chacun croit pouvoir être le coach de quelque chose ou de quelqu’un ! Tout un chacun se croit en droit de faire prévaloir un savoir qui lui donne un ascendant sur autrui.

De nombreuses formations prétendent à bon compte, c’est-à-dire sans se poser trop de questions déontologiques, augmenter la cohorte déjà bien fournie des coaches qui envahissent tous les domaines de l’existence, même ceux qui relèvent de la vie privée.

Tout se passe comme si tous les liens entre les individus devaient se professionnaliser, jusqu’à l’ignorance totale de la naturalité des relations dans le quotidien, par exemple celles que les parents peuvent avoir avec leurs enfants.



Les compétences de la grande majorité des coachs s’appuient sur l’incompétence supposée, et donc paradoxalement favorisée, de leurs clients.

Cependant, la banalisation de la pratique de ces nombreux coachs, ne pose des problèmes qu’à ceux --- dont je suis tenté d’être --- qui s’arrogent le droit de souhaiter une certaine pureté des pratiques, à ceux qui voudraient qu’à un terme spécifique soit attaché un professionnalisme rigoureux et respectueux des intérêts bien compris de ces mêmes clients.


Pour terminer, pourriez-vous nous conter le plus gros challenge et comment l’avez-vous résolu ?


Au risque de donner plus que l’impression de me dérober à la question, je préfère vous répondre de façon plus générale : chaque situation constitue un défi, chaque situation comporte ses nouveautés et ses surprises cachées.



Rien n’est plus intéressant que d’avoir à déambuler en terrain inconnu, là où l’inventivité est une compagne pertinente.


Son prochain livre à paraître en mai 2022 s'intitule "La folie dans tous ses états"


Sa page est ici : http://www.malarewicz.fr/

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