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Bertrand Lionet "Emousser les crises ou les traumatismes vicariants, ne fait que les déplacer"

Dernière mise à jour : 28 juin 2022

Bertrand Lionet, psychologue en protection de l'enfance répond répond a à nos questions.



Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?


J’ai fait mes études de psychologie à l’université catholique de Lille jusqu’à la maitrise de pathologie clinique, puis à l’université Paris 7 Denis Diderot pour le DESS. En 2000, mon premier poste était à temps partiel dans une maison d’enfants à caractère social (MECS). En parallèle, je travaillais en institut de rééducation motrice (IEM). En 2002, j’ai intégré la fonction publique sur deux mi-temps : l’un en hôpital général au sein d’une consultation douleurs chroniques et l’autre en centre de consultations médico psychologiques pour enfants et adolescents. J’ai débuté les expertises psychologiques en 2011 dans le cadre d’une unité judiciaire pédiatrique. Tout en poursuivant mon activité à l’hôpital général, j’ai soutenu une thèse en psychologie sur la mobilité psychique des personnes souffrant de douleurs chroniques. En 2019 j’ai déménagé en famille à la Réunion. Actuellement en disponibilité, je travaille à nouveau en MECS en tant que salarié à la Croix Rouge, je suis également psychologue à mon compte et expert auprès de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion.


La protection de l’enfance irait toujours mal, est-ce une illusion médiatique ? Est-ce vraiment différent aujourd’hui et en quoi ?


A mon avis ce n’est pas qu’une illusion médiatique. Il me semble qu’en tant qu’institution, la protection de l’enfance est amenée à gérer des problématiques sociales qui la dépassent. C’est une caisse de résonnance renvoyant à la société ce qu’elle ne veut pas voir de ses dérives : la perte des liens, les difficultés d’attachement précoces, les écueils de la transmission, le manque d’étayage et de prévention. Les médias n’ont rien inventé, il suffit de laisser tourner les caméras pour saisir les failles et les traumatismes qui infiltrent malgré elles la société et la protection de l’enfance.

En vingt années de pratiques j’ai vu les équipes devoir gérer de plus en plus de situations urgentes et dans l’urgence, sans avoir de place pour penser ce qui se trame ou anticiper les dérives. Par exemple, le manque de moyens devient criant quand on considère le nombre de dossiers que doit gérer un éducateur de l’ASE ou le manque de places dans les foyers d’accueil pour des situations toujours plus complexes associant problématiques migratoires, addictives, ou psychopathologies familiales.

En tant que psychologue, je m’inquiète de la perte du lien humain avec des situations gérées sur dossiers. Je m’inquiète également de la pathologisation galopante qui s’instaure, venant donner une explication qui est à la fois externe et intrinsèque au sujet. Cela entrave les possibilités d’évolution des jeunes et cela paralyse les équipes éducatives dans leur capacités d’accompagner les mineurs au quotidien.

La protection de l’enfance est par nature une institution confrontée à la souffrance. Vouloir émousser les crises ou les traumatismes vicariants, ne fait que les déplacer, parfois jusque dans le fonctionnement des institutions. Quand la protection de l’enfance sert à mettre les difficultés entre parenthèses, les défaillances se révèlent à la fin de l’accompagnement.

Je tire mon chapeau aux équipes de terrain qui continuent à tisser patiemment du lien et à co-construire des projets avec les enfants, les familles et le réseau. Mais sur le plan politique et social, je trouve que la manière de considérer les plus faibles et les plus cabossés par la vie augure assez mal de la façon dont on traite l’humain en général.



De quoi aurait besoin la protection de l’enfance selon vous ?


A mon sens, la protection de l’enfance nécessite avant tout des moyens adaptés et une politique sociale d’envergure. Les professionnels ont besoin de plus de temps pour gérer les situations qui leur sont confiées. Les espaces de formation et de réflexion sont les grands perdants de la gestion comptable qui domine actuellement résultant de la pression imposée par la quantité de situations à traitées. La politique quantitative se déploie au détriment du qualitatif.

Comment concevez-vous la supervision dans ce milieu ?


La supervision m’apparait incontournable pour l’ensemble des personnels de la protection de l’enfance et pas uniquement les acteurs de terrain, même si ce sont eux qui en ont le plus besoin. La supervision c’est un temps et un lieu donnés que peuvent s’approprier les équipes pour poser les situations qui les interrogent et qui leur posent problème. Elles permettent d’approfondir l’analyse, de faire un pas de côté dans le compréhension de nos actions, de comprendre les enjeux relationnels et affectifs qui ne manquent pas de traverser nos métiers. En parallèle, l’analyse des pratiques permet de réfléchir sur nos postures professionnelles, le sens de nos actions et de notre organisation. Métiers passionnants autant que prenants, la supervision assure un lieu pour déposer et atténuer la charge psychique induite par les situations que nous rencontrons au quotidien.

Pour l’IDC, mai 2022…

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